Le quartier de Notre-Dame-de-Grâce a été à l’honneur lors de la deuxième édition de Broder ses racines. Un groupe de femmes de NDG et 𝗬𝗮𝗲𝗻 𝗧𝗶𝗷𝗲𝗿𝗶𝗻𝗮, artiste et médiatrice culturelle, ont exploré l’histoire du quartier grâce à 8 rencontres hebdomadaires, incluant des visités guidées, une conférence historique avec Nathalie Senécal, ainsi qu’une visite aux Archives nationales du Québec.
Les séances se sont déroulées au siège de PAAL Partageons le monde, du 3 avril au 15 mai 2024. Les résultats du projet se présentent couramment à la Bibliothèque Benny, du 3 juillet au 30 juillet 2024.
Découvrez les histoires des participantes et leurs broderies en cliquant sur les points
Image : Henri Rémillard. Les gens de la rue, Montréal. 1970
(BAnQ Vieux-Montréal)
Portrait : Yaen Tijerina
« J’habite à Montréal depuis 2021. Je me suis inscrite à cet atelier parce que, depuis mon arrivée, j’avais commencé à explorer la broderie et je cherchais un atelier proche de chez moi.
Avant l’atelier, je ne connaissais pas l’histoire du quartier NDG, mais à travers les séances je suis devenue plus attentive aux lieux, aux bâtiments, aux parcs. Cela m’a invitée à m’intéresser davantage à l’histoire des quartiers et de la ville en général. Pour moi, en tant que nouvelle arrivante, c’était une expérience positive.
J’ai choisi de broder une photo de l’Université de Montréal parce que c’était important pour moi. C’est le premier endroit où j’ai appris un peu de français. En plus, je trouve ce bâtiment très beau. Comme anecdote, j’ai été surprise de découvrir que la photo avait été prise sur une rue où je marche presque tous les jours, mais dans la direction opposée à l’angle où la coupole de l’Oratoire Saint-Joseph est visible dans la photo. C’est après avoir brodé la photo qu’un jour, en marchant juste en face, je me suis dit : « Oh ! C’est ma photo ! ». C’était une belle coïncidence.
Pour moi, cet atelier a été une expérience importante, surtout pour le partage entre femmes, où nous avons pu échanger des histoires et des expériences, et nous rappeler l’importance de faire partie d’une communauté.
Je pense que cet atelier marque le début d’un parcours de broderie pour moi. Je vais continuer à broder des photos : de mes amies, de mes parents, de ma fille, de mon mari, de la ville, et de ma ville d’origine. »
Image : Conrad Poirier, Blue Bonnets Auto. 30 juin 1948
(BAnQ Vieux-Montréal)
Portrait : Yaen Tijerina
« Le titre de cet atelier m’a vraiment interpellée, avec le verbe “broder” et le nom “racine”. C’était une exploration artistique, ce que je n’avais jamais fait. J’avais la curiosité d’aller à la découverte de ce projet, lié aux racines.
NDG est un quartier réputé pour ses nombreuses activités et pour ses lieux historiques. En se baladant à Montréal, on voit les différences entre les quartiers, les maisons, et les rues. L’atelier nous a permis de reconstruire l’histoire de Montréal, offrant une nouvelle approche de cette ville où l’on vit sans forcément connaître ses anciens habitants et son histoire.
C’était une belle occasion de faire une recherche en profondeur et de comprendre l’origine de certains aspects du quartier, et même l’histoire de la ville. J’ai choisi cette photo pour broder car elle me rappelle mon enfance. Il y a une auto avec trois messieurs, une dame et une petite fille que j’ai habillée en rose. Cela me rappelle une photo de mon enfance avec mes parents et une auto similaire. J’ai essayé de reproduire les mêmes couleurs et détails, recréant ainsi un lien avec ma famille.
Quand j’ai choisi la photo, je ne savais pas où se trouvait cet ancien magasin d’autos. J’ai découvert plus tard qu’elle avait été prise près de la station Namur et du boulevard Décarie, près de l’endroit où j’ai acheté ma première voiture au Québec. De fil en aiguille, tout s’est enchaîné et cela a renforcé mes racines à Montréal.
Ce que j’ai le plus apprécié, c’est la bienveillance du groupe. C’était un groupe de femmes, un espace rassurant et sécuritaire où l’on pouvait broder sans jugement. Cette expérience enrichissante m’a fait grandir l’âme et a ravivé des souvenirs. »
Image : Jacques Desjardins – Ministère de la Jeunesse. Exposition de métiers d’art organisée dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal. Décembre 1949
(BAnQ Vieux-Montréal)
Portrait : Yaen Tijerina
« La raison pour laquelle je me suis inscrite à cet atelier, c’est que j’ai toujours aimé faire du bricolage. J’aime travailler avec mes mains et j’ai toujours pris des cours de broderie et de macramé. Ce qui m’a fasciné dans cet atelier, c’est que je pouvais faire de la broderie sur du carton, ce que j’ai trouvé très intéressant.
Quand je suis arrivée au Québec, j’ai habité dans le quartier de Verdun puis j’ai déménagé à Lacolle, où je vivais près des fermes. Dans l’atelier, en voyant les photos anciennes du quartier NDG où j’habite maintenant, les scènes rurales de son passé m’ont rappelé ces souvenirs. Je trouve que c’est un quartier très beau, avec des voisins gentils, des maisons anciennes mais aussi des constructions très modernes. C’est beau à voir.
Je pense que la broderie nous relie aussi au passé, à une époque où presque tout était fait à la main. J’ai choisi de broder cette carte postale d’une foire artisanale parce que cela montre justement qu’il y a beaucoup de variété et d’effort dans les travaux manuels. Cela m’invite à penser aux anciens magasins où l’on pouvait trouver de l’artisanat de ce type. J’ai mis beaucoup de soin dans la réalisation de ma carte, avec de nombreux détails que j’ai faits avec beaucoup d’amour, parce que j’aime faire cela. Cela montre que les magasins d’autrefois, avec leurs créations artisanales, n’avaient rien à envier aux magasins d’aujourd’hui. J’aime cette époque, et j’adore cet artisanat. »
Image : Montréal (Québec). Urbanisme et habitation. Photographie de l’extérieur du restaurant Orange Julep situé sur le boulevard Décarie,1964.
(Archives de la Ville de Montréal)
Portrait : Yaen Tijerina
« Ce qui m’attirait de ce projet, c’était mon expérience vécue avec un autre projet collectif de broderie sur la situation sociale des femmes au Mexique. De plus, ce projet portait sur mon quartier, NDG, où j’ai choisi de vivre.
Ma relation avec mon quartier a changé après avoir découvert son histoire et participé à des visites guidées historiques pendant les ateliers. Maintenant, en me promenant dans le quartier, je le vois différemment, sachant ce qui s’y trouvait auparavant. Même en connaissant son histoire pré-coloniale, cela renforce mon sentiment d’appartenance.
Je ressens un enracinement plus profond maintenant. L’autre jour, en conduisant sur Décarie, cette veine ouverte que j’emprunte souvent, je suis passée devant l’Orange Julep au coucher du soleil. Cette grande boule orange illuminée, au bord de la route, dégageait une atmosphère spéciale, presque futuriste. Cela m’a fait encore plus aimer ce symbole unique de Montréal, un mélange de modernité et de bizarrerie.
Montréal, une ville cosmopolite en constante évolution, regorge de symboles auxquels on s’identifie. Venant de la grande ville de Mexico, je recherche ces repères en changeant de pays, et l’Orange Julep est l’un de mes préférés. Si je retourne au Mexique, c’est sûr que cela me manquera.
En tant que travailleuse autonome, je suis souvent chez moi. Participer à cet atelier hebdomadaire était spécial à chaque fois. Le fait que ce soit un groupe de femmes, de tous horizons, était rassurant et était à l’image du quartier. C’était une expérience enrichissante à tous les niveaux. »
Image : Wm. Notman & Son. Vue de Montréal depuis la cheminée de la centrale de la Montreal Street Railway, QC, 1896
(Archives photographiques Notman, Collection McCord)
Portrait : Yaen Tijerina
« J’ai déménagé à Montréal en 2018, avec le rêve d’améliorer ma vie. Née et élevée à Mexico, mon histoire générationnelle est profondément liée à la migration et à un riche mélange de cultures, venant de différents endroits à travers le monde. Cette expérience de déracinement et de réenracinement est ce qui m’a attirée vers ce projet. Il s’est avéré être un groupe exclusivement féminin, ce dont j’avais besoin, me permettant de prendre une pause pendant la semaine pour me connecter avec la communauté.
Je me considère très privilégiée d’être venue ici pour étudier à Concordia et faire mon stage au campus Loyola. J’habite près du centre-ville et, au départ, je pensais que NDG en était éloigné et j’avais beaucoup d’idées préconçues par rapport à ce quartier. Cependant, la beauté que j’ai découverte en assistant à cet atelier chaque semaine est remarquable. Ce quartier est orienté vers la famille et magnifiquement interculturel. Je le trouve très harmonieux.
J’ai choisi de broder une image d’une vue de NDG depuis le centre-ville, avec le Mont-Royal au milieu. Cette image résonne avec ma vision de la grandeur d’une ville, même si elle semble petite par rapport à la grande ville d’où je viens. Il y a beaucoup de nature au cœur de la ville, et le paysage change considérablement entre les quartiers.
En tant qu’art-thérapeute et guérisseuse, je considère les montagnes comme des lieux de guérison. J’ai également brodé la roue de médecine pour honorer les nations autochtones d’ici. J’ai choisi le violet non seulement parce que c’est ma couleur préférée, mais aussi parce que c’est la couleur du drapeau des Cinq Nations. »
Image : Henri Rémillard. L’échangeur Décarie-Transcanadienne, 1966
(Archives de la Ville de Montréal)
Portrait : Yaen Tijerina
« Pendant la pandémie, je me suis concentrée sur la broderie, mais j’ai arrêté lorsque j’ai déménagé à Montréal. La broderie est devenue associée à cette période difficile, ce qui rendait difficile d’apprécier cette activité que j’avais aimée.
Cet atelier m’a introduite à une nouvelle technique – la broderie sur papier – et m’a donné l’opportunité de raviver ma passion dans un nouveau contexte. J’ai adoré travailler avec des images historiques de Montréal, en particulier du quartier NDG, car je passais par ce quartier sur le chemin vers mon premier emploi dans la ville. Venir chaque semaine à l’atelier m’a aidé à me connecter avec cet endroit, à reconnaître sa beauté et à apprendre qu’il était autrefois une terre rurale.
Je me sens liée à cette transformation car je viens d’une partie de Belo Horizonte au Brésil qui était autrefois une ferme. Ma grand-mère a déménagé là-bas alors que c’était encore une ferme, et ma famille y réside toujours. Elle partageait souvent des histoires sur la façon dont le paysage avait complètement changé. J’apprécie comment ces connexions relient nos origines à de nouveaux endroits où nous construisons nos vies. Cet atelier a été un beau processus pour moi.
Avec mon expérience en architecture, j’aime comprendre les formes des villes. J’ai choisi de broder une photo aérienne avec une ligne de montagnes en arrière-plan. J’aime l’idée que Montréal soit nommée d’après une montagne, et superposer mentalement cette image avec une carte de ma ville natale, qui est également entourée de montagnes protectrices, m’est venu naturellement.
J’ai également apprécié les aspects sociaux de l’atelier, qui m’a connecté avec les autres et m’a permis d’apprendre leur histoire. Partager des activités avec des femmes, dont beaucoup étaient des immigrantes, et écouter leurs expériences à Montréal a été une expérience enrichissante. La broderie est devenue un moyen de tisser nos histoires ensemble. »
Image : Photographe Inconnu. Ferme Benny, chemin Upper Lachine, près de Montréal, QC, vers 1900
(Collection McCord)
Portrait : Yaen Tijerina
« Ma participation à l’atelier “𝐁𝐫𝐨𝐝𝐞𝐫 𝐬𝐞𝐬 𝐑𝐚𝐜𝐢𝐧𝐞𝐬“ était une opportunité pour moi de mieux comprendre l’histoire de mon quartier.
En brodant une carte postale de Benny Farms, j’ai été surprise de voir un type de paysage qui n’existe plus mais que j’ai souvent fréquenté. Dans mon pays, mon père a grandi dans une maison similaire à celle de l’image. Cela m’a inspirée à imaginer la vie de ma famille à l’époque et mes racines, qui bien que très loin d’ici, sont en connexion avec l’image. J’ai symbolisé avec ma broderie la connexion de la femme avec sa famille, avec la maison et la fertilité de la terre qui se réveille au printemps. Je voulais mettre cela en valeur.
Quand je suis arrivée au Québec il y a cinq mois, c’était la première fois que j’habitais dans un autre pays, où l’on parlait une autre langue. La bibliothèque Benny a été cruciale dans mon adaptation en tant que nouvelle arrivante. Vivre près de la bibliothèque a été ma première connexion avec la vie d’ici, m’offrant des activités variées et des opportunités d’apprentissage.
Je ne lisais pas vraiment dans ma langue maternelle avant, mais maintenant je lis en français. J’ai vraiment commencé à m’enraciner ici, avec le français, que je commence à aimer beaucoup.
Participer à cet atelier était aussi une façon de pratiquer le français et de rencontrer d’autres femmes dans une situation similaire. Il y a cinq mois, je n’aurais pas pensé que je pouvais être créative, mais cette expérience prouve qu’il existe un monde de possibilités pour se renouveler et s’épanouir. Cela m’a beaucoup nourrie. »
Image : Gilles Langevin. Photos aériennes de la région de Montréal – Les échangeurs Décarie et Turcot, 1970.
(BAnQ Vieux-Montréal)
Portrait : Yaen Tijerina
« Le mot qui a attiré mon attention vers cet atelier était « broderie ». J’aime coudre, et le faire en groupe me rappelle mon village en Espagne, où c’est une pratique très courante. Coudre en cercle avec d’autres femmes et discuter fut une partie significative de mon enfance.
J’étais également curieuse de l’aspect historique. Il est incroyable de voir à quel point le quartier a changé au cours des 70 dernières années, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en particulier Benny Farm, où je vis. Cela est très personnel pour moi.
En tant qu’immigrante, j’ai aussi questionné ma relation avec les communautés autochtones du Canada. Quelle devrait être cette relation ? Comment devrais-je m’engager avec cette partie de Montréal ? Bien qu’il n’y ait pas eu de communauté autochtone permanente à NDG, nous n’avons pas reconnu les propriétaires légitimes des terres, ce qui me trouble.
J’adore mon quartier. Je suis vraiment heureuse à NDG. J’aime tout sauf le boulevard Décarie. À chaque fois que je traverse les ponts, j’imagine une forêt le recouvrant, car l’autoroute semble être une cicatrice ouverte. J’ai un besoin physique de guérir cette cicatrice. Dans ma composition, j’essaie de rendre hommage aux premiers colons de cette région en utilisant l’idée du drapeau de la confédération des Cinq Nations. J’ai appliqué cela en représentant les rivières perdues et les espaces verts, essayant de guérir les dommages causés. Je n’abandonne pas l’espoir qu’un jour cette autoroute disparaisse. »
Image : Service des parcs Montréal (Québec). Carnaval d’hiver, 5 février 1955.
(Archives de la Ville de Montréal)
Portrait : Yaen Tijerina
« Cet atelier m’a attirée parce qu’il parlait de broderies et de fils, ce qui est lié à ma profession de costumière. Je suis comme un fil, de A à Z, et c’est ancré dans mes racines. Mon arrière-grand-mère était dentellière et ma grand-mère, femme au foyer, m’a beaucoup appris sur la couture. Une autre passion pour moi, c’est l’histoire.
Connaître l’histoire de l’endroit où tu habites est important pour comprendre pourquoi il est tel qu’il est. J’ai toujours voulu explorer l’histoire de ce quartier et cet atelier m’a donné l’occasion de mettre le pied à l’étrier. J’ai découvert le Notre-Dame-de-Grâce d’autrefois à travers des images. Voir ces photos de parties du quartier avant l’urbanisation m’a montré à quel point certains aspects de la « grande ville nord-américaine » se sont développés rapidement, surtout au cours des 70 dernières années. Cela m’a fait voir Montréal différemment : c’est une ville vraiment jeune.
J’ai choisi de broder une photo de carnaval d’hiver, car ma formation est en costumes. Cette image m’a tout de suite attirée. En brodant, j’ai réalisé que c’était celle qui me parlait le plus car je pouvais l’exploiter pour créer des costumes, chose que je n’ai pas faite depuis mon arrivée à Montréal, il y a cinq ans. La photo représente aussi l’hiver avec la neige, une des raisons pour lesquelles je suis venue ici, car je suis une femme de la neige. Tout cela est réuni sur cette carte. »
En 2024, le projet a été exposé à la Maison de la culture Ahuntsic du 8 au 26 mai dans le cadre du Festival d’histoire de Montréal. En plus, deux ateliers pour tout le public ont eu lieu le 11 et 25 mai.